Le document contient 104 paragraphes et environ 13 700 mots. Lecture des cinq premiers paragraphes : Exemplaire pour Gregoor 1 Tavistock : John Rawlings Rees, le Maurice Strong de la santé mentale Je dédie ce dossier à mon vieil ami Maurice Gendre, grâce à qui j’ai connu l’Institut Tavistock. « Si nous voulons infiltrer les autres activités sociales et professionnelles, je pense que nous devons imiter les régimes totalitaires et mettre en place une activité de type cinquième colonne ! […] Soyons tous, désormais et très secrètement, ‘la Cinquième colonne’. » (Colonel John Rawlings Rees, « Strategic Planning for Mental Health », Mental Health, Vol. 1, N° 4, octobre 1940). Cette citation émane de la figure centrale de la Clinique Tavistock. Paragraph #5 D’abord adjoint d’Hugh Crichton-Miller, le fondateur et directeur médical de la structure en 1920, John Rawlings Rees (1890–1969) lui succéda de 1933 à 1947. Nous qualifions Rees de Maurice Strong de la santé mentale, dans la mesure où son influence – flanqué de son équipe – et ses casquettes successives ont contribué à modifier notre réalité et à fournir des cartouches de terminantes à l’ingénierie sociale à haut niveau. Comme Strong, la Clinique Tavistock – puis ultérieurement l’Institut, que nous ne traiterons que de manière mineure – a bénéficié du soutien récurrent et déterminant de la famille Rockefeller. Dès 1936, la Fondation du même nom permit à la Clinique de dépasser son aspect jusqu’alors strictement opérationnel pour débuter des activités de recherche. Le tavistockien bénéficiaire de la subvention, le physiologiste Dr A. T. M. (dit Tommy) Wilson (1905 – 1978), devint par la suite chef des laboratoires à la Clinique Tavistock, comme le précise le rapport annuel de la Fondation Rockefeller de 1939. Wilson fut en outre cofondateur et premier directeur de l’Institut Tavistock, émanation directe et complémentaire de la Clinique, et secrétaire général de la Royal Society of Medicine. Wilson joua également un rôle de premier plan auprès de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), tout comme d’autres figures de proue de la Clinique Tavistock, parmi lesquels John Rawlings Rees. Avant d’entrer dans le vif du sujet, rendons en outre à César : c’est grâce à la revue The Campaigner de Lyndon LaRouche que le nom de John Rawlings Rees se fit connaître en 1974, cinq ans après sa mort, au travers de deux numéros intitulés « The Tavistock Grin », i.e. « Le rictus de Tavistock ». La revue précise ce choix : « Le rictus de Tavistock est un terme utilisé pour évoquer le rictus complice – le sourire de John Rawlings Rees. C’est le rictus d’hommes qui s’engagent dans les formes les plus vicieuses de guerre psychologique. » Toutes les affirmations de LaRouche et de son équipe ne sont hélas pas vérifiables – tant sur Tavistock que sur d’autres sujets –, mais les divers propos que nous avons pu lire chez Rees ne laissent planer aucun doute quant au côté de la balance morale vers lequel il penche. À l’instar de Maurice Strong dans notre précédent article pour la revue de Géopolitique Profonde, nous prendrons ici le parcours de John Rawling Rees comme fil d’Ariane. Paragraph #10 Nous aborderons successivement, avec parfois des passerelles et des digressions, son rôle au sein de la Clinique Tavistock, son action – déterminante – comme psychiatre consultant pour l’armée britannique telle que rapportée dans son livre The Shaping of Psychiatry by War, et enfin son influence au travers de la Fédération mondiale de la Santé mentale (World Federation for Mental Health – WFMH). Telles sont, selon lui-même, les trois vies de John Rawling Rees – avec toutefois toujours un pied à Tavistock. Le véritable chef de la Clinique Tavistock Contrairement aux affirmations de John Coleman dans son livre L’institut Tavistock des Relations humaines, la Clinique n’est pas un rejeton de Wellington House, service de la propagande de guerre britannique au cours de la Première Guerre mondiale. Née de la volonté du psychiatre écossais Hugh Crichton-Miller (1877 – 1959) en 1919 (avec une promesse de 300£ pour démarrer), la Clinique Tavistock (nommée ainsi car sise initialement au 51 Tavistock Square) naquit en 1920 et n’avait vocation à durer que trois ans, le temps que des hôpitaux supplantent son activité – ce qui n’advint pas. L’objectif : fournir aux désargentés (« sick poor ») les soins prodigués aux plus aisés au travers d’un service infantile (à l’époque, précise Rees dans son autobiographie Reflections, où Londres ne disposait pas encore d’un service d’orientation pour les enfants) et d’un autre consacré aux adultes. Crichton-Miller, qui payait les dépenses de fonctionnement de sa propre poche, précisait que l’activité y était médicale avant d’être psychiatrique. John Rawling Rees lui-même était médecin et chirurgien avant d’être psychiatre. Les thérapeutes, tous bénévoles, s’engageaient à fournir un minimum de six heures hebdomadaires. La Clinique ne possédait pas de doctrine propre mais poursuivait des objectifs, si l’on en croit Henry Dicks (1900 – 1977), figure incontournable et historien autorisé de la Clinique. Sa seule ligne directrice portait sur les diagnostics psychodynamiques pour traiter des cas de névroses et de stress (dont les célèbres shell shocks – traumatismes traduits en français sous le terme d’obusite, stress post-traumatique issu des chocs d’obus lors de la Première Guerre mondiale), dont les désordres psychosomatiques et les désordres comportementaux infantiles. Pour schématiser, la psychodynamique traite du psychisme, i.e. de la santé mentale, à l’instar de la psychanalyse. Mais elle complète cette approche en y intégrant d’autres méthodes et disciplines. Rees voyait à ce titre la Clinique Tavistock comme une école de développement pour la psychothérapie et les maladies afférant à la santé mentale. À cette fin, il lui préféra jusqu’en 1936 le nom plus professionnel d’Institute of Medical Psychology. Paragraph #15 Sans rentrée d’argent régulière ni conséquente, la structure était vouée à stagner puis à péricliter. C’est ici que John Rawlings Rees entre en scène, comme nous le lisons dans Fifty Years of the Tavistock Clinic, écrit par Henry Dicks pour le jubilé de la Clinique. S’il passe sous silence des éléments compromettants comme les propos de Rees que nous avons mis en exergue du présent article et que nous verrons par la suite, le livre de Dicks apporte un nombre conséquent d’informations de première main et mérite à ce titre la lecture. Nous comprenons ainsi le rôle central de John Rawlings Rees, que Dicks présente comme un « véritable fédérateur » et surtout quelqu’un consacrant tout son temps au développement de la Clinique. Sa présence aux États-Unis dès le premier Congrès international sur la santé mentale lui aurait permis de se faire « d’innombrables amis », entretenant une proximité avec des psychiatres et des psychologues américains, « dont l’aide et la bonne volonté à l’égard de Tavistock seraient d’une importance cruciale dans notre histoire ultérieure » (notamment la Fondation Rockefeller, noterons-nous). Dès le départ d’ailleurs, selon Dicks, de nombreux Américains souhaitaient venir à la Clinique, bien plus que les Anglais. Rapidement, les États-Unis ont montré un intérêt bien supérieur à l’Angleterre pour la Clinique et des liens se sont tissés outre-Atlantique avec le National Committee for Mental Hygiene. Rees s’est rendu au congrès de l’organisation dès 1923 et a pu présenter l’expérience et les objectifs de Tavistock. Rees, poursuit Dicks, était un bourreau de travail et un passionné, sans toutefois être un « géant » dans sa contribution originale à la psychopathologie théorique et ayant été formé peu ou prou sur le tas. Cependant, Rees se montrait intéressé dans l’application des découvertes d’autrui à la notion de prévention et à l’épidémiologie du désordre mental. Au moment du départ de Crichton-Miller, les membres de la Clinique considéraient déjà Rees comme son dirigeant de facto. À l’extérieur, il était par ailleurs bien plus identifié qu’Hugh Crichton-Miller. En 1933, Rees se serait alors trouvé « au faîte de sa puissance ». Dicks retrace ici l’action et le caractère de ce dernier, fournissant des éléments de compréhension sur la renommée de la Clinique et sa survie. Paragraph #20 Rees apparaît en effet comme le chef d’orchestre des relations publiques et de la promotion de la Clinique Tavistock, et ce dès les premières années. Ce serait grâce au talent de celui-ci dans les relations informelles que Tavistock se serait développée et aurait acquis une telle renommée (au point que Rees parvint à recruter P. K. Hodgson, secrétaire privé du futur roi George VI), mais aussi survécu financièrement. Dans son autobiographie Reflections, Rees fournit quelques exemples des actions pour remplir les caisses de la Clinique : recherche de donations, performances théâtrales, subventions via des cinémas du dimanche. Selon les rapports annuels, poursuit-il, seuls deux ans entre 1920 et 1939 n’auraient pas été déficitaires pour la Clinique. De son côté, Dicks note que ce serait grâce à l’action de Rees qu’un appel aux fonds aurait pu être lancé en faveur de la Clinique en 1929, signé par une dizaine de personnalités parmi lesquelles l’Archevêque de York, l’épouse du Premier ministre Stanley Baldwin, ou encore Sir Humphrey Rolleston, président du Royal College of Physicians. Ceci ainsi que l’Appeal Committee, un appel aux dons pour Tavistock à la radio. C’est encore Rees qui suggéra lors de sa création peu après la Deuxième Guerre mondiale que l’Institut Tavistock (Tavistock Institute of Human Relations) soit un établissement juridiquement distinct de la Clinique afin de pouvoir recevoir des fonds privés tant de l’industrie que des services gouvernementaux. Appuyé par John Rawlings-Rees, l’éclectisme de Tavistock fut l’une de ses marques de fabrique avec la possibilité, comme le rapporte Dicks, d’utiliser de nouvelles techniques et approches, ainsi que des aides pharmacologiques telles que les barbituriques. En outre, Dicks considère que Tavistock a largement influencé le développement du travail social de la psychiatrie. Le premier centre de ce type ouvert en Suède a ainsi été intégralement formé par la Clinique et y serait devenu la référence. En Grande-Bretagne, les membres seniors de Tavistock étaient demandés dans divers services : section psychiatrique de la Royal Society of Medicine, section médicale de la British Psychological Society, et sections psychiatriques des meetings scientifiques annuels de la British Medical Association, de même que dans de nouvelles activités de santé mentale : Child Guidance Council ou National Council for Mental Hygiene, directement inspirés par certains membres de Tavistock. Le personnel de la Clinique Tavistock était toujours intégralement représenté dans la très largement germanophone International General Society for Psychotherapy, dont Hugh Crichton-Miller fut chairman et Dicks le secrétaire honoraire jusqu’en 1939. Tavistock a organisé un congrès de cette Société en 1938 à Oxford sous la présidence de C. G. Jung, pour lequel E. B. Strauss, associé à Tavistock, fut le secrétaire organisateur. Un été, un séminaire spécial eut lieu à la demande de l’Université du Caire pour des psychologues et des psychiatres égyptiens. Parmi les conférences organisées par la Clinique, nous retrouvons enfin des personnalités de l’époque telles que C. G. Jung, Maria Montessori, Susan Isaacs, Ernst Kretschmer, ou encore Charlotte Bühler. Dans Reflections, Rees abonde en ce sens en soulignant l’intérêt suscité par la Clinique Tavistock dès ses premières années d’existence, au travers d’enseignements, de conférences et de groupes de discussion dès 1921. En 1927-1928, ajoute-t-il, près de 3 300 personnes avaient assisté aux conférences de la Clinique. Paragraph #25 Nous conclurons ce propos sur le développement de la Clinique Tavistock en citant longuement Henry Dicks, qui en dresse un point d’étape à l’aube de la Deuxième Guerre mondiale : « Pour résumer les réalisations de la Clinique Tavistock jusqu’à 1939, nous pouvons dire qu’elle a engendré un changement réellement considérable dans la médecine britannique en étant pionnière dans une psychothérapie psychodynamique intermédiaire (middle-of-the-road) qui pouvait être appliquée avec souplesse à un assez grand nombre de patients. Nous avions aussi établi la notion d’équipe transdisciplinaire pour un travail plus efficace et pour gagner du temps médical – ce qui est seulement abordé aujourd’hui (1969) comme une grande innovation dans la pratique médicale. Nous avions établi des formations pour ces groupes et envoyé un bon nombre de personnes relativement expérimentées et entraînées dans d’autres centres en Grande-Bretagne et à l’étranger et avions lancé au moins une clinique fille à Edinburgh. Nous avions influencé de nombreux étudiants, médecins généralistes, magistrats, ecclésiastiques, travailleurs sociaux ainsi que des travailleurs dans d’autres domaines, des centres hospitaliers universitaires aux cliniques locales de santé publique, de maternité et de protection de l’enfance. Nous avions ainsi produit un certain climat dans l’opinion, favorable à l’étude et à la considération de la personnalité en tant que facteur central dans la santé et la maladie, tentant de même de lier ces facteurs au corps de la médecine établie. Plus tard, nous avions également réussi à créer une respectable – d’ailleurs assez avancée – unité de recherche, par laquelle nous avons influencé le développement de la nouvelle méthode psychosomatique tant dans ses aspects de recherche que dans ceux liés à l’enseignement et au traitement. Nous nous étions faits de nombreux amis dans l’establishment tant médical que social britannique, et nous avions également contribué par l’enseignement, le travail en comité et de nombreux contacts personnels à l’unification ultérieure de plusieurs points délicats de projets de santé mentale en Grande-Bretagne qui, au travers du Comité Feversham, se concrétisa par la National Association for Mental Health. Nous avions à peine réalisé à quel point nous avions également contribué à la croissance d’intérêts similaires à l’étranger, notamment en Amérique du Nord. Parmi les nombreux jeunes post-doctorants d’Amérique qui assistèrent aux premières conférences de Tavistock sur la méthode psychothérapeutique et la psychopathologie figuraient William C. Menninger, Brock Chisholm et Lawrence Kubie. Ces bons amis nous rappelèrent plus tard qu’ils furent influencés dans leurs carrières ultérieures par le type de concepts et de pratiques qu’ils avaient connus dans le petit bâtiment sordide de Tavistock Square. » The Shaping of War by Psychiatry Nous empruntons cette reformulation appropriée du titre du livre de Rees, The Shaping of Psychiatry by War, à Michael Minnicino. Ce dernier est l’auteur du second des deux articles qui composent le numéro de The Campaigner de Lyndon LaRouche d’avril 1974. Comme Minnicino le souligne, Rees a découvert, grâce à sa position et à son rôle au cours de la Deuxième Guerre mondiale en particulier, que la psychiatrie pouvait être inversée dans sa finalité. L’asile à ciel ouvert dans lequel nous évoluons après des décennies d’ingénierie sociale suffit à confirmer cette assertion. En somme, Minnicino indique par son détournement de titre que les connaissances majeures acquises par la psychiatrie reesienne et tavistockienne dans le champ de la santé mentale et donc du fonctionnement du psychisme humain ont fourni tout le matériel nécessaire pour mener une guerre anthropologique totale, sur tous les plans du comportement humain. Nous rapportons par ailleurs dans le présent dossier (cf. infra) les considérations et déclarations de Rees, avant même la création de l’Institut Tavistock, bien plus connu dans les milieux de réinformation que la Clinique. Considérez qu’après le livre de Rees, près de quatre-vingts ans se sont écoulés jusqu’à nos jours. Soit autant de temps consacré à la recherche, au perfectionnement ainsi qu’à l’implémentation opérationnelle des découvertes de la psychiatrie de Rees et de ses collègues. Paragraph #30 Dans sa courte autobiographie intitulée Reflections, John Rawlings Rees rapporte que la guerre a beaucoup apporté au développement de la médecine sociale et de la psychiatrie sociale, essentiellement grâce au personnel de la Tavistock, qui a accompagné Rees dans son activité militaire au cours de cette période. Rees a condensé son travail et ses considérations sur cette période et ses activités dans son ouvrage majeur, The Shaping of Psychiatry by War, publié en 1945. Dans Reflections, Rees précise que ce livre découle des Salmon Memorial Lectures où il s’est exprimé. Pour précision, Thomas Salmon (1876 – 1927), militaire, médecin et psychiatre américain d’origine britannique, a étudié les névroses post-Première Guerre mondiale (les shell shocks déjà mentionnés), plus particulièrement les techniques employées par le corps médical de la Royal Army. Salmon avait pour objectif de transposer les méthodes thérapeutiques au sein du système médical de l’armée américaine. Avant de lire la partie suivante, le lecteur est invité à se remémorer la citation introductive à notre dossier et plus encore à lire la traduction complète de l’article dont elle est issue (voir notre note 1 du présent article). Vous aurez ainsi le loisir de mesurer comment, avant la démocratisation de l’accès à l’information par Internet, les propos tenus de manière semi-publique se passaient de filtre. Peu après, en 1945, John Rawling Rees poursuivit donc sa pensée dans son livre The Shaping of Psychiatry by War (« Le façonnement de la psychiatrie par la guerre »). Rees développait et synthétisait ses acquis de psychiatre militaire au cours de la guerre. Le personnel de Tavistock joua son rôle à ses côtés. Dans Reflections, Rees précisait en effet qu’un nombre notable des développements réalisés dans son travail auprès de l’armée est venu du « staff » de Tavistock qui l’y a rejoint. Leur chance, poursuivait-il, résidait dans la capacité à disposer d’une population « captive » (les militaires) et grâce à cela de poursuivre leurs recherches. Toujours dans son autobiographie, Rees souligne les apports, dès le début de la guerre, de l’armée canadienne en grande partie grâce au travail du directeur du personnel, le brigadier Brock Chisholm. C’est la deuxième fois que nous citons ce nom, dont nous réservons le détail pour la prochaine section de notre article. Mentionnons quelques noms de membres de Tavistock venus épauler John Rawlings Rees au cours de cette période. Nous nous arrêterons sur deux d’entre eux. Le psychiatre civil et militaire George Ronald (dit G. R.) Hargreaves est présenté par Henry Dicks comme l’une des ressources-clés auprès de Rees et « l’une de nos étoiles les plus lumineuses » au sein de la Clinique Tavistock, qu’il rejoignit en 1938. Nous reparlerons de lui. Avec Rees, Hargreaves fut d’ailleurs l’un des sept membres de la Clinique présent par la suite au Conseil fondateur du Tavistock Institute of Human Relations (le fameux Institut Tavistock). Dicks précise enfin qu’avec Rees et Tommy Wilson, Hargreaves fut l’un des trois contributeurs majeurs auprès des services psychiatriques de l’Armée britannique. La notice Wikipédia consacrée à Hargreaves précise en effet que rapidement après son incorporation, il expérimenta les matrices progressives de Raven pour dépister les recrues inadaptées – ce test non-verbal visant entre autres à évaluer l’intelligence humaine. Paragraph #35 D’autres points biographiques de la même notice valent la peine d’être cités : les travaux d’Hargreaves sur les méthodes psychologiques de sélection et d’affectation auraient contribué à créer la Direction de la sélection du personnel, le Système de sélection des services généraux, ainsi que le War Office Selection Board (WOSB, fondé en 1942). Ses idées ont été reprises au sein du Bureau de guerre britannique, et Hargreaves joua en parallèle un rôle de liaison avec les armées américaine et canadienne, qu’il conseilla sur l’utilisation du personnel psychologique. Lui-même mobilisé au sein du service psychiatrique de l’Armée britannique, Henry Dicks joua dès 1941 un rôle amené à devenir déterminant dans l’avenir de l’Europe. Cette année, on l’affecta au cas de Rudolf Hess, expérience dont il fit part dans un livre collectif dirigé par John Rawlings Rees, qui fut le psychiatre de Hess. Comme rapporté dans Fifty Years of the Tavistock Clinic, son travail auprès de Hess permit à Dicks de nouer un contact privilégié avec le renseignement militaire. Il réalisa alors des études sur la psychologie allemande (et nationale-socialiste) avec un commandant d’escadre, ce qui les mena à la création d’un centre britannique de Commission de contrôle en Allemagne pour choisir les futurs dirigeants et administrateurs « non-nazis » parmi les Allemands. Ce Centre, situé à Bad Oeyenhausen (Rhénanie-du-Nord-Westphalie), fut dirigé par le colonel Richard (Dick) Rendel, « un charmant intellectuel de gauche qui devint un grand promoteur et ami de la psychiatrie militaire ». En d’autres termes, le formatage de l’Allemagne sociale-démocrate d’après-guerre, courroie de transmission et vassal des intérêts américains, découle directement, pour partie, du personnel de la Clinique Tavistock et des méthodes de sélection (War Office Selection Board) développées par eux pendant la guerre. Cet exemple souligne comment, placé au sommet de la pyramide, un groupe restreint de personnes peut influer sur l’avenir d’une nation. Dans son livre déjà cité, Dicks se montre d’ailleurs trop peu disert sur l’ampleur de son rôle, que nous découvrons entre autres grâce à sa bibliographie en fin d’ouvrage. Pour un résumé, nous renvoyons le lecteur à « Public Health Work in the British Occupation Zone », le cinquième chapitre du livre The Perils of Peace: The Public Health Crisis in Occupied Germany. Écrit par une certaine Jessica Reinisch en 2013, Britannique spécialisée dans l’histoire européenne, il rapporte pour la partie qui nous intéresse, les intentions planifiées de Dicks – avec les sources de ses écrits. Dicks, note Reinisch, considérait le fascisme comme une psychose de masse, et l’objectif d’après-guerre devenait alors d’empêcher la récurrence de cette psychose. Dans des écrits s’étalant de 1944 à 1946, le radicalisme de Dicks apparaît : ne se limitant pas à une volonté d’écarter les nationaux-socialistes de tous les postes administratifs et à responsabilité, il affirma que le problème résidait en premier lieu dans la personnalité et la psychologie allemandes. Dicks déclara de ce fait que les Allemands anti-nazis n’en étaient pas pour autant anti-autoritaires. L’un des articles de Dicks, daté du 24 février 1945, porte d’ailleurs un titre explicite, loin du propos mou tenu dans son livre de jubilé : « An experimental establishment for selection and re-education of Germans ». Ou encore, deux semaines plus tôt, « Selection and re-education of Germans prisoners of war ». De quoi mettre ceci en perspective avec son propos dans Fifty Years, où il écrit que la psychodynamique se fonde sur des « valeurs humanistes ». Paragraph #40 Dans le premier chapitre de The Shaping of Psychiatry by War, Rees note que le champ de la psychiatrie s’étend en permanence – des propos qui résonnent particulièrement aujourd’hui, surtout lorsqu’il explique que les travaux de Tavistock avec les enfants ont fourni des résultats bien plus rapidement qu’avec les adultes. Rees met le pied-dans-la-porte : la position (leadership, influence, confiance reçue) du médecin au sein de l’armée devrait selon lui plus largement impacter la croissance de la place de la médecine « dans la gestion de groupes plus grands, dans la planification non seulement de méthodes pour maintenir la santé mais aussi de problèmes sociologiques plus larges qui concernent des groupes, des communautés et des nations ». Ces propos sont à mettre en miroir avec ce qu’écrit Rees quelques pages plus loin – et en perspective avec les méthodes de Frank Kitson (1926 – 2024) (création de counter-gangs et d’opérations sous faux drapeau, opérations de basse intensité, etc.) : « Patience, tolérance, tactiques d’infiltration, et compétences dans la contre-attaque, que les psychiatres apprennent en de telles conditions, ont de la valeur pour l’avenir. » Rees rappelle que les recherches menées au sein de la Clinique Tavistock ont permis de comprendre la structure des groupes ainsi que les relations interpersonnelles. Tavistock est venue notamment greffer une approche psychodynamique et clinique aux connaissances sociologiques et à leurs limites. La psychologie est assez rapidement devenue une « arme de guerre », visant à renforcer les forces combattantes. Mais la nouveauté, souligne-t-il, est l’application des méthodes de la psychologie moderne pour aider dans les choix d’une grande armée civile. C’était ainsi la première fois que des méthodes de sélection pouvaient s’appliquer avec succès à de grands groupes. En somme, grâce à une industrialisation de la psychologie. Précisons ici que l’homme considéré comme le père de la psychologie sociale – ainsi que de la conduite du changement et de la dynamique des groupes – n’est autre que Kurt Lewin (1890 – 1947). Proche de Tavistock et participant aux incontournables conférences Macy sur la cybernétique, ce n’est qu’en raison de son décès prématuré que sa proximité avec Tavistock prit fin. Dans son livre, Rees poursuit en laissant entrevoir son projet d’infiltration physique et cognitive à plus vaste échelle. En mentionnant son activité auprès des travailleurs sociaux, il écrit que le service social est une « arme médicale », et que l’aspect social de la médecine mènera les psychiatres dans les sphères politiques et gouvernementales, ce qu’il affirme souhaiter. Il préconise par ailleurs d’endoctriner et d’éduquer avec des méthodes spécifiques – que l’on peut comprendre comme acquises au travers des vingt-ans alors d’expérience de la Clinique Tavistock : « Savoir ce qui peut être fait avec un homme et, bien plus important encore, comment notre conseil peut être mis en œuvre est d’une valeur certaine. » Ces propos résonnent avec ceux écrits par Edward Bernays dans Propaganda, qui souhaitait que l’on puisse induire des modifications comportementales sans que les gens s’en rendent compte. L’approche de Rees est comparable et dérive vers l’introduction de la chimie. Chimie comme introduction de substances, mais aussi comme réactions de l’organisme (et plus particulièrement du cerveau) à divers stimuli, un propos que l’on retrouve davantage développé dans l’un de ses livres antérieurs, Health of the Mind, écrit en 1928. Paragraph #45 Après son propos sur l’extension du champ de la psychiatrie, John Rawlings Rees réfléchit aux opportunités qui émergent. L’armée reste son terrain de prédilection pour des applications civiles car elle regroupe des communautés complètes. La question du moral, militaire mais aussi dans la vie civile, intéresse grandement le psychiatre en ce qu’elle se confondrait en pratique avec la santé mentale. Rees annonce que la période de démobilisation et de réinsertion sont des opportunités d’étude du sens du moral (morale, en anglais, peut aussi se traduire par la motivation ou l’enthousiasme, ce qui revêt un intérêt certain en termes d’ingénierie sociale avec l’introduction par exemple de méthodes managériales et du coaching ; nous utilisons généralement la traduction « moral » mais ce terme peut être remplacé par les deux autres) et des méthodes de la maintenir et de l’améliorer (comprendre : l’orienter dans le sens voulu). Ce moral qu’il cite est un champ qui nous concerne au quotidien, puisque Rees cite explicitement l’influence exercée par les films ainsi que les informations techniques dans leur planification. Ces films, souligne-t-il, exercent un effet profond chez ceux qui les visionnent, tant à des fins d’entraînement (les militaires en particulier) que de divertissement, effet « qui dépend substantiellement de la façon de présenter un sujet particulier ». Il ne s’agit pas de propos incantatoires, dans la mesure où Rees lui-même rappelle que la psychiatrie a apporté son concours actif pour concevoir des programmes radio et des films afin d’atteindre certains objectifs. Le pedigree comme les écrits de Rees sont clairs : il s’agit de manipuler et de conditionner hors contexte de guerre, à l’instar de Bernays qui lança le concept de « relations publiques » comme synonyme de la propagande en temps de paix. Trois citations de Rees, espacées de quelques pages, donnent une vision d’ensemble : « Les guerres ne se gagnent pas en tuant ses adversaires mais en sapant ou détruisant leur moral tout en maintenant le nôtre. […] Si nous sommes allés d’une certaine façon dans la bonne direction il est ici assez certain que nous ne pourrons pas éviter toutes les difficultés des troubles sociaux qui surviendront les prochaines années, mais après la guerre, avec l’expérience fraîchement gagnée, il devrait être possible de faire un travail plus efficace dans l’anticipation des réactions de groupe et la conception de la structure et de l’administration du groupe afin de s’assurer un niveau supérieur de moralité. […] Il semble clair que les psychiatres ont une responsabilité plus grande qu’ils ne l’avaient réalisé jusqu’à maintenant pour aider au développement futur de films et de radio comme un moyen d’émouvoir l’opinion publique. » En résumé, les psychiatres jouent un rôle-clé et ont apporté de nombreuses contributions dans le champ de la guerre psychologique, en particulier grâce à leurs compétences dans la psychologie analytique. Toutes les données et méthodes accumulées fournissent les bases d’une planification des activités ainsi que le modelage de l’activité d’après-guerre en territoire occupé. Rees s’en félicite et souligne que les névroses de guerre ont apporté de nombreuses opportunités. Les mécanismes psychopathologiques sont bien mieux compris qu’ils l’auraient été d’aucun autre type de travail. Grâce à tout cela, il a été bien plus appris des réactions des hommes en condition de stress. Dès lors, s’interroge Rees, quelle est la voie à suivre ? Paragraph #50 Pour la Grande-Bretagne, il recommanda de planifier un service de santé pour la nation, ce qui aboutit lors de la fusion – toujours en vigueur – de la Clinique Tavistock avec le NHS (National Health System) en juillet 1948 ; la Clinique poursuivit toutefois certaines de ses activités majeures avec l’alors nouvel Institut Tavistock. Confiant, Rees tient des propos qui renvoient à son article de 1940 que nous avons cité supra : « La psychiatrie est le levain dans la masse, puisqu’elle affecte la part la plus importante de la médecine sociale, et le développement, l’exposition et l’extension de la pensée psychiatrique devraient avoir plus à voir que toute autre chose avec le succès de notre projet. Nous devons regarder plus loin que vers le but immédiat de la santé individuelle ; quelque chose de meilleur doit être fourni aux groupes aussi bien qu’aux individus, aux nations et à la communauté des nations. Les désordres sociaux actuels du monde nous défient en tant que diagnosticiens et thérapeutes, et dans la période post-guerre nos conseils ne doivent pas se limiter à des mots mais prendre effet en tant qu’actions. » Cette longue citation tout comme les prises de position correspondantes du directeur médical de la Clinique Tavistock ne sont pas des paroles isolées. Le développement des propos tenus dans The Shaping of Psychiatry by War comme les éléments qui précèdent la présente partie forment un tout pour comprendre les implications de son futur poste : premier président puis directeur de la Fédération mondiale de la Santé mentale (World Federation for Mental Health) – de même que son écosystème et ses soutiens. Comment, en lisant un autre propos de Rees, ne pas penser aux injections expérimentales lors de la psyop COVID comme à la tentative croissante de psychiatriser les opinions divergentes ? « Nous espérons qu’une loi rendra possible pour les personnes de tous les groupes sociaux de recevoir un traitement lorsqu’ils en ont besoin, même s’ils ne le veulent pas, sans qu’il soit nécessaire d’invoquer la loi. Beaucoup d’autres changements devraient advenir dans la législation quant aux personnes psychotiques et déficientes, des changements plus à même de se produire aujourd’hui qu’à aucun moment auparavant. Il est convenu que les services de santé mentale seront intégrés au service de santé générale, et c’est en soi une avancée considérable qui fera beaucoup pour éduquer l’opinion tant publique que médicale. » Ce n’est pas tout. Rees s’intéresse aux implications sociales de la personnalité des patients ainsi que des désordres émotionnels et à la manière de les traiter. L’aboutissement logique et pratique de cette approche de John Rawlings Rees se retrouve dans le DSM-V, le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux publié par l’American Psychiatric Association. Nous en trouvons un décryptage dans L’homme selon le DSM. Le nouvel ordre psychiatrique, écrit en 2012 par le pédopsychiatre Maurice Corcos, qui le dénonce comme étant une régression hygiéniste. Son analyse confirme la réussite de Rees : « La norme n’est plus philosophique et religieuse, elle est devenue, avec la médicalisation de la société, médicale et juridique. Elle est définie par des mesures établies par des consensus d’experts qui ont le pouvoir de l’imposer… » Le souhait de Rees de renforcer la capacité à administrer des traitements a également réussi. Au moment de publier, Corcos notait qu’aux États-Unis, la prescription des antipsychotiques avait augmenté de 22% en cinq ans chez les 0-17 ans – une part que l’on sait en forte croissance en France suite aux traumatismes engendrés par les mesures liberticides et insensées lors de la psyop COVID. Paragraph #55 Le contrôle social dépasse par essence l’échelle individuelle. Dans The Shaping of Psychiatry by War, Rees se montre confiant en affirmant que la connaissance psychiatrique acquise sur les individus permet de prescrire en retour un traitement approprié, suivi de résultat. Il poursuit en étendant ce principe aux groupes, les mêmes procédures produisant des résultats similaires et facilitant de ce fait la planification sociale – ce qui nous renvoie à sa volonté de 1940 d’une planification stratégique. L’objectif explicite reste le contrôle : « Du point de vue de la communauté ces groupes donneraient une opportunité sans pareil pour l’expérience et la recherche sur les méthodes par lesquelles les individus et les groupes peuvent être contrôlés. […] Les groupes politiques, les mouvements subversifs et de nombreux autres phénomènes sociologiques se prêtent à [notre] étude, et c’est un enjeu de grande importance qu’ils soient correctement compris par une approche psychopathologique et sociale afin de pouvoir être correctement contrôlés. » Mais Rees compte bien s’affranchir des contraintes officielles pour opérer de manière diffuse : « Si nous proposons de sortir au grand jour et de nous attaquer aux problèmes sociaux et nationaux actuels, alors nous devons avoir des troupes de choc et elles ne peuvent pas être fournies par une psychiatrie fondée pleinement sur les institutions. Nous devons avoir des équipes mobiles de psychiatres bien sélectionnés et bien entraînés, libres de leurs mouvements et de prendre des contacts avec la situation locale dans une zone particulière. » Soit ce que lui permit exactement sa position à la tête de la Fédération mondiale pour la santé mentale. Il s’agit, pour résumer, d’une pure approche d’anthropologie appliquée. John Rawlings Rees parle quant à lui de management psychanalytique, adapté à chaque culture raciale particulière et demandant un changement individuel comme la base du progrès. Un Agenda 2030 psychanalytique avant l’heure, en somme, empreint de paternalisme et d’ingénierie sociale : « Les altérations sociales qui peuvent être apportées produiront un changement interne et individuel, bien qu’ils n’aillent probablement pas aussi loin que nous le désirons. Pourtant ils produiront un monde avec davantage d’espoir et de progrès. Cela doit à coup sûr être l’un de nos buts. Dans chaque pays il devrait y avoir des groupes de psychiatres liés les uns aux autres, étudiant ces problèmes de manière aussi réaliste et pratique que possible. La plupart de l’expérience des conditions pourrait être utilisée, et au sein de notre structure nationale ou dans nos contacts avec les pays libérés et occupés, il y a de nombreux centres pour les nécessaires expérimentation et validation des idées. Ce qui compte est que nous puissions comprendre les gens, leur constitution, leur culture et leur milieu social, et que nous élaborions des méthodes pour modifier cela au bénéfice du monde aussi bien que d’eux-mêmes. […] Il devrait y avoir des groupes et des équipes à l’œuvre partout dans le monde qui rassemblent leurs découvertes et travaux dans le but commun de résoudre les problèmes sociaux, économiques et spirituels des communautés et des nations. » Dans sa postface enfin, Rees souhaite que les psychiatres soient responsables de la santé mentale en tout domaine – notamment l’éducation infantile comme adulte – et en toute zone ou région. L’opportunité lui fut donnée grâce à son vieil ami et disciple, Brock Chisholm. Paragraph #60 La Fédération mondiale de la Santé mentale Outre ses fonctions à l’Institut Tavistock, Rees est connu pour avoir été le premier président de la World Federation for Mental Health (WFMH – Fédération mondiale pour la santé mentale), fondée en 1948 – avec un soutien gouvernemental et des fonds publics et privés américains et établie à Londres. Il occupa ce poste de 1948 à 1949, avant d’en devenir le directeur (1949 – 1961), puis en rester un consultant spécial. Pour mesurer l’influence de la WFMH, précisons qu’elle obtint dès 1963 le statut d’organe consultatif – comme ONG – auprès des Nations unies. Nous devons sa création au Dr (George) Brock Chisholm. Chisholm n’est autre que l’un des fondateurs et le premier président (1948 – 1953) de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), dont la section consacrée à la santé mentale fut dirigée de son lancement jusqu’à la fin des années 1950 par le tavistockien Ronald Hargreaves, recruté à ce poste par Chisholm. Autre membre éminent de la Clinique Tavistock, John Bowlby fut lui aussi consultant pour l’OMS, où il implémenta (selon Henry Dicks) les bases scientifiques de l’organisation sur les relations mère/enfant. De son côté, Tommy Wilson occupa le poste de chairman de l’OMS sur les questions de robotisation et de santé mentale. En 1946, les Nations unies avaient nommé Chisholm « secrétaire exécutif d’une commission d’experts de 16 personnes chargée de créer l’Organisation mondiale de la santé ». Le BC Medical Journal rapporte que selon Chisholm, l’OMS devait servir le « citoyen du monde » et passer tant les frontières que les histoires nationales. Néo-malthusien avant l’heure, il est également présenté comme l’un des premiers à avoir averti sur le danger, entre autres, de la « croissance démographique incontrôlée ». Sur cette citoyenneté du monde, notons que le texte fondateur de la WFMH s’intitule Mental Health and World Citizenship. Canadien et lui aussi psychiatre, Chisholm occupa l’influent poste de directeur général des services médicaux du Canada et fut, entre autres reconnaissances, intégré au Most Excellent Order of the British Empire. Très officiellement, sa notice Wikipédia nous précise qu’il fut signataire d’un accord destiné à réunir une convention en vue d’élaborer une constitution mondiale (world constitution). Ceci déboucha en 1968 sur la World Constitutional Convention puis, en 1991, sur une Earth Constitution. Dit autrement, Chisholm a le profil-type du mondialiste. Son orientation politique, lit-on sur sa notice, est le communisme. Il fut de ce fait critiqué par des groupes conservateurs, et notamment qualifié d’Antéchrist par un groupe de femmes conservatrices du sud de la Californie. Son approche est analogue à celle de Rees et l’on comprend l’amitié entre les deux hommes. Le site du Temple de la renommée médicale canadienne, où Chisholm a été introduit en 2019, écrit : « Il s’est rendu compte que la santé n’était pas l’enjeu d’une seule nation, mais celui du monde entier. » Paragraph #65 En 1941, soit moins d’un an après l’article de John Rawling Rees, Chisholm introduisit la dimension de la santé mentale dans le recrutement et la gestion militaires. Autre point commun : en 1945, Chisholm et Rees ont reçu conjointement le Lasker Award pour le Comité national sur la santé mentale. Pour se faire une idée de l’orientation du couple Lasker, des noms de lauréats dans la catégorie Planning familial – Population mondiale éclaireront le lecteur : Margaret Sanger (eugéniste fondatrice du planning familial), Julian Huxley (eugéniste), Gregory Pincus (inventeur de la pilule), ou encore John D. Rockefeller III. Côté récompense de groupes, nous trouvons notamment la section Santé internationale de la Fondation Rockefeller. Des éléments biographiques de Brock Chisholm, disponibles sur plusieurs sites, précisent qu’après la Première Guerre mondiale, il se rendit en Angleterre, en 1924, pour y effectuer un stage en psychiatrie. Dans son avant-propos à Reflections, l’autobiographie de Rees, Chisholm rapporte que sa rencontre avec Rees remonte à 1925 à la Tavistock Clinic. Nous traduisons ici le propos de Brock Chisholm, car ses implications sont en fin de compte conséquentes : le premier président de l’OMS y a implémenté une vision directement influencée et inspirée par John Rawlings Rees dont nous avons longuement rapporté la pensée et les propos. Chisholm écrit : « Je ne peux conclure ce portrait d’un homme des plus insolites sans une déclaration personnelle quant aux effets très importants que Jack [surnom de John] Rees, sa personnalité, sa mentalité, et ses activités ont eu sur ma propre vie depuis que je me suis assis à ses pieds pour la première fois à la vieille Clinique Tavistock en 1925, et continuellement depuis cette époque, en particulier au cours des années de la Deuxième Guerre mondiale et durant mes sept ans avec l’Organisation mondiale de la santé. Son expérience immense et variée, sa vision psychologique et sociale, et son infatigable tolérance m’ont aidé de nombreuses fois à voir les situations et les gens de manière plus claire et constructive que j’en aurais été capable seul, et j’ai éhontément et avec gratitude compté sur lui pendant plus de quarante ans. […] Je profite de cette opportunité pour consigner, au nom de nombreuses personnes, notre dette considérable et de longue date à l’Homme – Jack Rees. » Au travers de la World Federation for Mental Health, dont la Clinique et l’Institut Tavistock furent membres, Rees a pu faire progresser son approche de la santé mentale auprès de plusieurs structures. Dans Reflections, un autre avant-propos est signé George S. Stevenson, 78e président de l’American Psychiatric Association. Stevenson rapporte que Rees a collaboré en ce sens avec l’OMS, l’UNESCO (dont le premier président, en 1946, fut l’eugéniste Julian Huxley), l’OIT (Organisation internationale du travail) ainsi que l’UNICEF. Mais l’influence de Rees y a dépassé ses rencontres avec de simples organismes, quelle que soit leur taille. Dans Reflections toujours, Rees rapporte avoir visité « entre 60 et 70 pays » et grâce à cela pu échanger avec le Premier ministre ou le Président de ces pays. Une belle opportunité, comme l’affirme – toutefois sans preuve, mais selon nous avec pertinence – Lyndon LaRouche, pour agir au profit d’agences de renseignement. Paragraph #70 Mais c’est avec le troisième avant-propos que nous pouvons pleinement appréhender l’ampleur de l’écosystème dans lequel s’inscrit dès cette époque Tavistock au travers de la figure de John Rawlings Rees. En effet, son auteur n’est autre que Frank Fremont-Smith, lui-même premier trésorier puis président de la World Federation for Mental Health de 1954 à 1955. Il joua un rôle notable, avec Chisholm, dans la création de la WFMH dans la mesure où, comme le rappelle un article du New York Times daté de 1974, il occupa le poste de chairman du bureau directeur de l’International Committee for Mental Hygiene – qui donna son impulsion à la WFMH. Le nom de Fremont-Smith, quasiment inconnu dans les milieux de réinformation en France, est pourtant central dans l’histoire du XXe siècle. Hormis son rôle de premier organisateur d’une conférence sur le LSD (psyop du deep state) en 1959, il devint dans la seconde moitié des années 1930 directeur médical et secrétaire exécutif pour la Fondation Josiah Macy Jr. Cette Fondation, qui organisa en 1950 des conférences et des dîners communs avec la WFMH, fut créée par la fille de Macy, Kate Macy Ladd, en l’honneur de son père. La famille Rockefeller n’est jamais loin, dans la mesure où Josiah Macy dirigeait une compagnie pétrolière qui fut par la suite intégrée à la Standard Oil Company. Par ailleurs, Henry Dicks, cité avant notre section dédiée à The Shaping of Psychiatry by War, a mentionné trois noms (dont Chisholm) qui restèrent influencés dans leurs actions et leur vie professionnelle par la Clinique Tavistock. L’un d’eux est le neurologue et psychanalyste Lawrence Kubie (1896 – 1973). Diplômé de la branche médicale – créée par la Fondation Rockefeller en 1916 – de l’Université Johns Hopkins, il assista aux conférences Macy de 1942 à 1953, où il invita Milton Erickson, fondateur de l’hypnose conversationnelle (qu’il étudia avec Kubie) et inspirateur de la programmation neuro-linguistique (PNL). C’est sous la direction et à l’initiative de Kate Macy Ladd (avec Lawrence K. Frank) que la Fondation éponyme organisa les célèbres conférences Macy. Ancêtre du transhumanisme, leur nom initial était le projet Man-Machine et elles commencèrent en 1942 sous le nom de Cerebral Inhibition Meeting. Par la suite, de 1946 à 1953, se tint un cycle de dix conférences sur la cybernétique, science de la gestion des systèmes et dont l’application sociale a pris le nom de management. Parmi les participants se trouvaient entre autres Margaret Mead (présidente de la WFMH de 1957 à 1958 et qui participa aux réunions préparatoires de l’International Committee for Mental Hygiene) ainsi que Kurt Lewin, déjà mentionné. Le monde étant petit, le récipiendaire du premier Kurt Lewin Award, en 1948, ne fut autre que Brock Chisholm. Paragraph #75 Nous mentionnerons deux points supplémentaires au sujet de la Fondation Macy, qui concluront notre article et permettront au lecteur curieux de poursuivre lui-même ses investigations. Dans le Fifty Years of the Tavistock Clinic d’Henry Dicks, Sydney Gray qui a rédigé un chapitre consacré au TIHR rapporte qu’après-guerre, la Clinique puis le futur Institut Tavistock ont bénéficié des fonds de plusieurs organisations, parmi lesquelles l’OMS, la Ford Foundation, ou encore la Josiah Macy Foundation Jr. De son côté, la notice Wikipédia consacrée au MK ULTRA note qu’« un montage a permis de consacrer au projet une part secrète du budget annuel de la recherche et du développement de la CIA, correspondant à 300 000 dollars, en dehors de tout contrôle budgétaire. Entre 1953 et 1963, les financements supplémentaires accordés au projet se sont multipliés, dépensant 25 millions de dollars. Pour cacher leur origine, les fonds transitaient par des sociétés et des fondations, principalement la Society for the Investigation of Human Ecology, le Geschickter Fund for Medical Research et la Josiah Macy, Jr. Foundation. » Le rôle de la Fondation Macy et son lien avec Tavistock, couplés au financement et à l’orientation de la recherche sur le contrôle mental (MK ULTRA) ainsi que l’éventail des personnalités impliquées, offrent une perspective sur l’ampleur des réseaux mobilisés. Le travail d’ingénierie sociale et la manipulation à grande échelle développés à partir de la Seconde Guerre mondiale trouvent ainsi des racines institutionnelles profondes. Tavistock apparaît en effet comme un des pivots centraux dans la construction de ces dynamiques de contrôle et d’influence, à la croisée des mondes psychiatriques, militaires, politiques, et médiatiques. Les exemples de financement et de collaboration entre Tavistock, ses dirigeants, et les institutions évoquées, témoignent de la nature systémique et planifiée de l’influence psychologique et sociale développée par ces entités. En élargissant l’analyse à la période contemporaine, l’héritage de Rees et de ses collaborateurs peut être perçu dans les pratiques de gestion des masses, des émotions, et des comportements à travers divers médias et outils psychologiques – ce qui ne laisse que peu de doute sur l’efficacité et la persistance de ces stratégies. Paragraph #80